Comme vous le savez, Lucien est spécialiste du peintre Carlo Crivelli. Pas une de ses aventures avec Mathilde n'échappe à sa passion qu'il nous fait partager.
De la vie de Carlo Crivelli, on sait peu de choses.
Il est né vers 1430-1435 à Venise et mort vers 1495, sans doute à Ascoli Piceno, dans les Marches. Il fut formé à Murano par Vivarini et Alemagna, puis sans doute à Padoue par Squarcione. Condamné à Venise pour adultère, il se retira dans les Marches où, à partir de 1468, il produisit la majorité de ses œuvres. Des concombres qu’il peint avec le plus grand réalisme sur la plupart de ses tableaux, il a fait sa signature. Ce symbole incongru reste obscur et sujet à de multiples interprétations, parfois loufoques, sans qu’aucune n’ait encore fait l’unanimité des experts. Lucien, bien sûr, a sa propre théorie, qu’il dévoilera un jour dans le livre qu’il prépare.
Dans "Château La Fugue" il est question de deux œuvres que je souhaite vous faire partager ici.
La Vierge à l’Enfant, dite Madone Lochis, vers 1475, détrempe sur bois et or, 33 x 45 cm, Bergame, Accademia Carrara. Elle est nommée Madone Lochis, du nom du collectionneur d’art, le comte Guglielmo Lochis (1789 –1859) qui, à sa mort, fit don de sa collection de plus de cinq cents œuvres à la ville de Bergame.
Voilà le passage de Château La Fugue où il en est question :
"Émile le remercia en détaillant la couverture : une Vierge à l’Enfant.
Au balcon, ils vous regardent, pétris d’amour et de mélancolie, et ces regards si pleins d’humanité vous serrent doucement le cœur. Elle s’abandonne au bonheur de tenir son enfant dans ses bras et incline sa tête contre la sienne. Il lui rend cette caresse et, même si le lourd manteau de brocard brodé d’or gratte un peu, il se blottit contre elle. Comme un jouet parfumé, il serre entre ses petites mains une pomme, ronde comme ses joues, blonde comme ses boucles. Son pied gauche est caché par le bras de sa mère, mais des orteils potelés s’échappent et frétillent sur la manche.
- Ah ! Notre ami Crivelli ! s’exclama Émile. Cette œuvre est superbe ! Laquelle est-ce ?
- C’est la Madone Lochis, elle est à Bergame, au musée Carrara.
- Quelle finesse dans le trait ! Et tous ces symboles !
- Toute l’œuvre en est truffée. Regardez : le pilier écarlate devant lequel se tient Marie, c’est une représentation courante de Dieu, celle qu’on retrouve dans les Annonciations… les trois fruits qui dessinent les trois sommets d’un triangle équilatéral pour la Trinité… J’ai lu que la pêche était aussi à elle seule un symbole de la Trinité avec sa chair qui contient le noyau qui contient lui-même l’amande. La pomme, bien sûr, c’est le péché originel et celle que tient l’enfant rappelle qu’il est un nouvel Adam venu racheter cette faute originelle. Vous voyez aussi à l’arrière-plan, le paysage de part et d’autre du pilier ? D’un côté il est verdoyant pour la vie et de l’autre desséché et désolé pour la mort. Et là, l’œillet, dianthus de son nom savant, la fleur de Dieu… et la cerise avec son rouge brillant, c’est une goutte du sang du Christ versé pendant la Passion… Et bien sûr, le concombre trône au premier plan ! Vous voyez comme il pointe en direction du spectateur ? Il sort littéralement du tableau et lui donne un relief et une profondeur incroyables. On lui a donné toutes sortes de significations, pour ma part je pense qu’il s’agit de…" Château La Fugue.
On parle également de l'Annonciation avec Saint Émidius, 1486, détrempe et huile sur bois, transférée sur toile en 1881, 207 × 146 cm, Londres, The National Gallery, salle 57. Peint pour l'église franciscaine de l'Annonciation d'Ascoli Piceno, ville dont saint Émidius était le saint patron.
Cette œuvre est abondamment commentée, tant elle est riche en symboles et impressionnante de minutie, je ne donnerai que quelques pistes. Le tableau célèbre l’autonomie administrative, Libertas Ecclesiastica, que les habitants d’Ascoli avaient achetée au Pape Sixte IV. La lettre officialisant cette liberté fut reçue par pigeon voyageur le 25 mars 1482, le jour même de l’Annonciation. On voit d’ailleurs sur un balcon en haut du tableau deux hommes en train de lire la lettre. Le pigeon, lui a regagné sa cage. La date offrait donc la possibilité de mettre en parallèle les deux bonnes nouvelles, celle de la conception de Jésus et celle de la naissance d’une commune libre. La colombe du Saint Esprit répond au pigeon ! Les oiseaux sont d’ailleurs légion sur le tableau, perchés, en vol ou en cage. Une mention spéciale pour le paon majestueux dont le plumage chatoyant fait écho aux riches ornements de la tapisserie près de lui. On appréciera une fois de plus la virtuosité de Crivelli dans la représentation des étoffes et on se souviendra que le paon est symbole de la Résurrection. Une légende voulait en effet que sa chair soit imputrescible.
Pour la description des œuvres, vous aurez reconnu le texte du bonus "l'atelier du peintre" de "Château La Fugue", puisque chaque roman s'accompagne de bonus... vous y trouverez également "le labo du cuistot" et "le salon des poètes".
Dans quelque temps, je partagerai des photos des œuvres évoquées dans "Hareng au sang".
À plus tard !
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