Christine Chaumartin
Auteure
LA MER AVEC SES FRUITS VIVANTS
La mer avec ses fruits vivants
Lumineux homards et méduses électriques
Et ses forêts de mâts
Arbres nus et mouvants
Portant haut de muets perroquets
Arbres blonds, élégants
Portant de lourds colliers
Arbres voyageurs qui espèrent le vent
Respiration salée dans les poumons de toile
Poumon de misaine
Poumon de grande voile
Se gonflent et expirent à l’empannage
La voile claque et faseye
Le cœur vacille, un peu bancal
Esquisse un équilibre
Sur la vague qui s’esquive
Tant de cordes, de bouts, d’écoutes, de filins
Pour un rêve, emprisonner le vent
Le lier, le prendre dans la toile tendue comme un filet
La poulie des veuves est là pour le venger
Il s’échappe, se libère
Le nœud coule
Comme l’homme dans la mer
Comme l’eau dans les doigts qu’on a pourtant serrés
Dans les yeux qu’on a pourtant fermés
Comme le temps au fond du sablier
Dans le grand bataclan de deux éléments
Qui de l’eau
Qui de l’air
Monte le plus haut
Quand le ciel est à l’envers
Quand l’eau est noire comme l’air
Entre loup et chien de mer ?
Mai 2004, Chausey

ATELIERS

Quand il a jeté l’ancre rue du Corbeau dans le Cœur, les couleurs étaient versatiles.
Pourtant il rêvait d’espaces ouverts, où les anneaux du temps se déroulent infiniment, où, dans l’urgence de l’émerveillement, les mots sont luminescents pour l’amoureux noctambule.
Mais maintenant, près d’Oude-Kerke, l’eau salie d’ombre des canaux a des tentations de rivière souterraine et des perfidies de labyrinthe. Elle piège les lueurs pour les dissoudre en d’infinis tremblements, et le temps s’infuse dans l’espace, pendant que s’écoule le sablier des déceptions.
Attiré par la lanterne rouge comme un poisson aveugle, il avance avec la confiance mécanique d’un projectile, pousse la porte du grenier des fantasmes et entre dans le coffee-shop.
Bientôt, le scotch fait des plis dans sa tête. Sa méduse personnelle et élégante entre en phase de psychose. Enfin.
Il regarde la femme empaquetée près de lui, et son regard plie et déforme son corps, s’accroche en sautoir à ses seins, suit la sinuosité du satin et s’arrête d’arête en arête, aux angles qui piquent et qui pointent de la jambe et des reins.
Mais la transparence floue du désir un peu déchirée sur les bords cicatrise déjà. Voilà justement ce qui fait peur, la fumée n’est jamais là où on l’attend, et l’esprit dévore le cœur, parfois.
Ah ! ce pauvre besoin d’admiration qui crève les yeux ! cet agaçant mystère qui, une fois passée la bourrasque, laisse pantelant de rire et d’effroi dans l’arène, et pas du tout affranchi !
Tristesse de ne plus entendre son cri résonner encore en échos amortis.
L’été coulait, rouge comme le miel,
Chaud comme le sang.
C’était le temps des loups, des masques,
Des mensonges suaves comme des promesses.
Ses yeux d’inox me perforaient le cœur,
À chaque battement, fragile
Comme un serpent de verre.
Depuis en attente d’un infarctus unique,
Je cherche le mot évadé de l’oasis d’ombre.
Les néons ont des flashs de désirs brutaux et le dioxyde prend des parfums d’agrumes acides.
Sur le béton rugueux, les bandes blanches se poursuivent, se croisent et s’échappent pour s’alanguir en caresses sur des carrosseries galbées et des chromes rutilants.
Les rétroviseurs jaloux ne reflètent que les crissements du ciel.
Mais tôt ou tard, les histoires d’amour finissent mal.
Alors elle part seule en voyage.
Avec ses ongles, elle a suivi la carte de ses veines, leur tracé en transparence sous sa peau.
Elle a crevé tous ses tuyaux de sang, et il est resté là, tranquillement, à se vider lentement, dans ce parking souterrain, terne, gris et sale, comme ils le sont tous en général.
Textes écrits lors d’ateliers d’écriture organisés dans l’Yonne, à Sens, par des amis du GFEN dans les années 90. S’ils sont personnels, ces poèmes sont également le fruit d’un processus commun d’écriture et je salue ici tous ceux qui y ont participé.